Nous avons confiance que l’Égypte peut contribuer au bien-être et au bonheur du monde

Nous avons confiance que l’Égypte peut contribuer au bien-être et au bonheur du monde

Cet article a été traduit par Reem Hany 

 Révisé par Aya Mohamad Abdel Fattah 

Monsieur le Président,

J’ai reçu votre lettre datée du 7 septembre 1956 concernant les entretiens qui ont eu lieu entre nous et la commission que vous présidez, représentant les dix-huit pays ayant participé à la conférence de Londres sur le canal de Suez. Votre commission se souviendra sans doute que j’ai commenté plusieurs points essentiels au cours des discussions.

Vous avez mentionné que les dix-huit pays représentent 90 % des pays qui utilisent le canal. Bien que cette estimation puisse sembler exagérée, ce que nous comprenons par l’expression « qui utilisent le canal » inclut ces pays qui, bien qu’ils ne possèdent pas de navires traversant le canal, dépendent du canal pour le passage de la majeure partie de leur commerce extérieur. Parmi ces pays figurent l’Australie, la Thaïlande, l’Indonésie, l’Inde, le Pakistan, l’Iran, l’Irak, l’Arabie Saoudite, l’Éthiopie et le Soudan.

De plus, la question du canal est étroitement liée aux principes de souveraineté, de droit de propriété et de dignité des États. Il semble que la crise actuelle ait commencé le 26 juillet 1956 lorsque le gouvernement égyptien a exercé son autorité pour nationaliser la société connue sous le nom de « l’entreprise maritime internationale du canal de Suez ». Il ne fait aucun doute que le gouvernement égyptien a pleinement le droit de nationaliser cette entreprise égyptienne.

Lorsque le gouvernement a nationalisé cette société, il a déclaré qu’il se considérait lié par le traité de 1888 garantissant la liberté de navigation dans le canal de Suez et qu’il était prêt à indemniser équitablement les contributeurs.

Le 12 août, le gouvernement égyptien a annoncé qu’il est prêt à inviter les pays signataires du traité de Constantinople de 1888 à participer avec lui à une conférence impliquant les gouvernements dont les navires traversent le canal de Suez, afin de réexaminer le traité de Constantinople et de conclure un accord entre ces pays pour confirmer la liberté de navigation dans le canal de Suez.

En même temps, il ne peut être reproché au gouvernement égyptien d’avoir enfreint à aucun moment ou en aucune circonstance ses obligations internationales concernant le canal de Suez. Par ailleurs, la navigation dans le canal de Suez a continué à fonctionner de manière ordonnée et efficace au cours des cinquante derniers jours, malgré les difficultés causées par les gouvernements français et britannique, ainsi que par certains intérêts privés liés à l’ancienne société du canal.

Ainsi, cette crise et ce qu’ils appellent « la situation dangereuse » ne sont rien d’autre qu’une invention des parties mentionnées, comme le démontre ce qui suit :

1. Les déclarations contenant des menaces d’utilisation de la force.

2. La mobilisation des forces de la France et du Royaume-Uni.

3. L’incitation des employés et des agents travaillant dans le canal de Suez à quitter brusquement leur poste par la France et le Royaume-Uni, ainsi que certains fonctionnaires de l’ancienne société du canal de Suez.

4.Les mesures économiques prises contre l’Égypte

Malgré tout cela, nous avons souvent entendu des références à une « solution pacifique » et à des « négociations libres » pour parvenir à la solution souhaitée. Faut-il souligner cette contradiction entre la réalité évidente et le but prétendu ?

S’il existe des actions basées sur une violation flagrante et un mépris du texte et de l’esprit de la Charte des Nations Unies, ce sont les tentatives de menace, de pression économique et d’incitation à perturber les opérations de navigation.

En revanche, le gouvernement égyptien a déclaré sa pleine disposition à négocier, désireux d’atteindre une solution pacifique conformément aux objectifs de la Charte des Nations Unies et aux principes qui la sous-tendent. Cet objectif demeure celui que la politique du gouvernement égyptien cherche à atteindre et les buts qu’elle vise à réaliser.

Nous avons minutieusement examiné les propositions présentées lors de la conférence de Londres et en dehors concernant ce problème, y compris celles soumises par les dix-huit États représentés par le comité. Nous sommes d’accord avec les dix-huit États pour dire que la solution doit :

1. Servir les droits de souveraineté de l’Égypte.

2. Garantir la liberté de navigation dans le canal de Suez conformément à la convention du 29 octobre 1888.

3. Servir le droit de propriété de l’Égypte sur le canal.

4. Garantir une gestion fiable du canal, ainsi que l’entretien et l’expansion nécessaires.

Cependant, lorsque nous examinons les moyens proposés par le comité pour atteindre ces objectifs, nous constatons que ces moyens détruisent les objectifs visés et aboutissent à l’opposé de ce qu’ils cherchent à atteindre. Le système spécifique proposé par le comité signifie en réalité l’appropriation de ce que les gouvernements ayant accueilli cette conférence ont offert aux gouvernements invités avant le début de la conférence, ce qui a été appliqué tout au long de cette période.

Il est inévitable que le peuple égyptien voie le système proposé comme un système basé sur l’agression et violant ses droits et sa souveraineté ; cela a conduit à l’impossibilité de coopération. On peut également se demander si c’était réellement la société du canal qui garantissait la liberté de navigation dans le canal ; n’était-ce pas plutôt le gouvernement égyptien qui garantissait et continue de garantir cette liberté ? Est-il réellement possible de garantir cette liberté par le biais du comité proposé pour le canal de Suez ? N’est-il pas probable que ce comité soit une source de malentendus et de problèmes au lieu d’être une source d’aide et de réassurance ?

Nous gardons à l'esprit toute l'importance vitale d'une véritable coopération internationale qui diffère du contrôle sur un État quelconque ; que ce contrôle soit semblable à celui dont l’Égypte s’est récemment débarrassée, ou un contrôle collectif que nous ne pouvons que considérer comme représenté par le système proposé par le comité.

Et toute tentative d’imposer un tel système serait réellement le signe d’un conflit imprévu, enfonçant le canal de Suez dans les affaires politiques au lieu de l’en éloigner comme le souhaite le comité. Quel que soit le système de gestion du canal à l’avenir, il dépendra d’une coopération étroite et complète du peuple égyptien sur la terre duquel se trouve le canal. Il est évident qu’une telle coopération – qui est indispensable – ne peut être réalisée si le peuple considère cette gestion comme hostile à lui et contre sa souveraineté, ses droits et sa dignité.

Il est vraiment étrange que ceux qui prônent l’éloignement du canal de la politique soient eux-mêmes ceux qui ont mené des actions qui contredisent totalement cet objectif qu’ils déclarent.

Quelle est donc la signification de l’internationalisation du canal et de la tenue de la conférence de Londres, avec la sélection des membres invités selon un plan tracé, puis l’envoi du comité quinquennal, les menaces liées aux mouvements des forces armées et les mesures économiques ? Comment tout cela ne peut-il pas être considéré comme une politique dans son sens le plus complet ?

Vous avez mentionné que les représentants de tout État représenté dans le comité proposé pour le canal de Suez ne devraient être soumis à aucune obligation de suivre des instructions politiques ; ces représentants resteront loyaux envers leur pays et seront soumis à leurs gouvernements, il est donc très peu probable qu’ils ne soient pas influencés par ces considérations. Les exemples que vous avez cités concernant la Banque mondiale et la Cour internationale de justice ne sont ni valables ni convaincants.

Nous croyons que le véritable éloignement du canal de la politique peut être garanti de la meilleure manière par un engagement international contraignant, soit sous la forme d’une réaffirmation ou d’un renouvellement de l’accord de 1888, et ces deux solutions nous conviennent, comme nous l’avons déjà déclaré.

Des allégations ont circulé selon lesquelles le gouvernement égyptien viserait à faire preuve de partialité contre l’un des pays que vous représentez, à savoir le Royaume-Uni, et que le gouvernement égyptien chercherait à perturber l’économie britannique et à entraver les mouvements commerciaux et les approvisionnements nécessaires au Royaume-Uni via le canal de Suez.

Il est superflu de dire que ces allégations sont totalement infondées, car personne ne peut justifier une telle politique pour l'Égypte.

Vous avez également évoqué la question de la confiance internationale, en soulignant que la confiance a deux volets. Tout en reconnaissant l'importance de la confiance des autres pays, il est au moins tout aussi crucial d'obtenir la confiance du peuple égyptien dans ce domaine. Cette confiance ne peut être acquise si les Égyptiens sont amenés, à la suite de certaines actions et politiques, à douter et à perdre foi en l'existence de justice internationale ou en l'application de l'état de droit dans les relations internationales.

Si l'objectif véritable était de garantir la liberté de passage dans le canal de Suez, la réponse est claire : le passage dans le canal a toujours été et demeure libre. Le seul danger pesant sur cette liberté provient des menaces, du déploiement de forces militaires, de l'incitation des employés et des travailleurs à perturber le fonctionnement du canal, et des mesures économiques prises contre l'Égypte.

En revanche, si le but – comme il semble – est de détacher une partie essentielle du territoire égyptien, ou de priver l'Égypte d'une partie intégrante de son territoire, il est de notre devoir d'en être informés.

Il est désormais parfaitement clair que l'Égypte, en raison des circonstances, est sérieusement engagée à préserver la paix et la sécurité non seulement dans la région du canal, mais également dans l'ensemble de sa région et dans le monde entier.

Il doit également être clair que l'Égypte est pleinement préoccupée – même pour ses propres intérêts – par la liberté de passage dans le canal, et par la nécessité de maintenir une gestion efficace, compétente et évolutive de celui-ci, sans aucune discrimination ou exploitation de quelque nature que ce soit.

Je souhaite rappeler, en ce qui concerne ce dernier point, que j'ai informé le comité que le gouvernement égyptien est prêt à conclure tout accord nécessaire concernant l'imposition de frais et de redevances équitables.

Quant aux projets d'amélioration du canal que vous avez mentionnés, je tiens à confirmer que le gouvernement égyptien est déterminé à faire tout ce qui est possible dans ce domaine. Cela inclut la mise en œuvre du projet d'amélioration du canal précédemment élaboré par la société antérieure, ainsi que d'autres projets visant des objectifs plus larges et à long terme.

Nous avons déclaré que notre politique est de maintenir l'Autorité du canal de Suez comme une entité indépendante avec un budget autonome, dotée de tous les pouvoirs nécessaires sans être entravée par des procédures ou des systèmes gouvernementaux. Nous avons également annoncé notre intention d'allouer une part suffisante des revenus du canal à la réalisation de projets futurs et de ne pas utiliser ces revenus pour d'autres fins. Le gouvernement égyptien a toujours montré sa volonté de bénéficier de l'expertise et de l'expérience des spécialistes qualifiés du monde entier pour améliorer le canal et sa gestion.

À notre avis, le point central de la situation actuelle est que le projet proposé, en lui-même et dans ses implications possibles, vise à restreindre la supervision du canal à un groupe spécifique de pays utilisateurs du canal, en contrôlant sa gestion.

La note distribuée aux pays invités à la conférence de Londres peu avant son ouverture, et qui semble encore guider ces pays dans les objectifs qu'ils maintiennent, propose : « La création d'une autorité internationale pour la gestion du canal de Suez ».

Premièrement : La France, le Royaume-Uni et les États-Unis se sont mis d’accord pour qu’au cours de la conférence soit inscrit un projet de proposition pour créer une autorité internationale pour gérer le canal selon les principes suivants :

Deuxièmement : Les objectifs et fonctions de cette autorité internationale sont les suivants :

1. Gérer le canal.

2. Garantir que le canal remplisse sa mission au mieux en tant que voie navigable internationale libre, ouverte et sécurisée conformément aux principes de la Convention de Constantinople de 1888.

3. Organiser le paiement d’une indemnité équitable à la Compagnie du canal de Suez.

4. Garantir à l’Égypte une indemnisation juste, en tenant compte des droits et intérêts légitimes de l’Égypte.

En cas d’échec des négociations avec la société ou avec l’Égypte sur l’un des deux derniers points, la question peut être soumise à un tribunal arbitral composé de trois membres désignés par la Cour internationale de justice.

Troisièmement : Les instances qui composent l’autorité internationale sont :

1. Le conseil d’administration, composé de membres proposés par les États qui utilisent le canal principalement pour leur navigation et leur commerce maritime.

2. Les organismes techniques nécessaires en matière de travail et de gestion.

**Quatrièmement : Les compétences de l’autorité internationale comprennent notamment les éléments suivants :**

1. Réaliser toutes les actions nécessaires.

2. Déterminer les frais, redevances et autres taxes sur des bases justes.

3. Gérer toutes les questions financières.

4. Assurer les compétences en matière de gestion et de contrôle en général.

Nous sommes convaincus que toute analyse de cette note ne laisse au lecteur qu’une seule conclusion : l’objectif est de retirer le canal des mains de l’Égypte pour le placer entre d’autres mains. Il est difficile d’imaginer quelque chose de plus provocateur pour le peuple égyptien. Une telle action comporte les éléments susceptibles de mener à son échec, générant un monopole, des malentendus et un conflit permanent ; en d’autres termes, cela pourrait être le début du trouble au lieu d’en être la fin.

D’autre part, je tiens à réaffirmer que la politique de mon gouvernement continue de garantir :

1. La liberté de passage dans le canal de Suez, et son utilisation sans discrimination.

2. L’amélioration du canal de Suez pour répondre aux exigences de la navigation future.

3. L’imposition de frais et taxes justes.

4. La gestion du canal de Suez sur la base d’une compétence technique adéquate.

Nous espérons ainsi que le canal de Suez se séparera de la politique et redeviendra un lien de coopération, d’avantages mutuels et de compréhension étroite entre les nations du monde, au lieu d’être une source de conflit.

Nous sommes également convaincus que l’Égypte peut contribuer au mieux à la prospérité et au bonheur du monde tout en contribuant à sa propre prospérité et bonheur en adoptant cette politique et en affichant ses bonnes intentions dans toutes les directions.

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Discours de Gamal Abdel Nasser à "Robert Menzies"

9 septembre 1956